Sénégal - Plaidoyer pour le vote et l’application d’une puissante loi antitabac au Sénégal

Classé comme étant un des premiers pays africains à se doter de loi antitabac depuis 1981, où l’interdiction de l’usage du tabac dans ses villes religieuses date de 1883, le Sénégal dispose d’indiscutables atouts pour réussir  de manière exemplaire et irréprochable l’adoption, le vote, et l’application stricte des dispositions d’un puissant projet de loi antitabac. Mais cette réussite passera inéluctablement par le respect sans réserve, ni exception de l’ensemble des dispositions de la Convention-cadre pour la Lutte Antitabac.

Dakar, le 5 juillet 2013 - Juste après la conférence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)  tenue  à Genève en 1980 et dont le thème était « Le tabac ou la santé, à vous de choisir », le Sénégal adoptera la loi 81-58 du 9 novembre 1981, portant interdiction de la publicité en faveur du tabac et son usage dans certains lieux publics. Son rôle précurseur a été unanimement salué à l’époque par toute la communauté internationale.

Mais hélas, cette législation tant magnifiée sera vite tenue en échec par les modifications apportées par  la loi n° 85-23 du 25 février 1985, interdisant uniquement la publicité du tabac à la télévision conformément à son article 3.

C’est  à travers la loi n° 2004-36 du 14 décembre 2004, que notre pays procédera à la ratification de la Convention-cadre de l’OMS  pour la Lutte Antitabac (CCLAT), adoptée à Genève le 21 mai 2003 et entrée en vigueur le 27 février 2005.

Par cette ratification, le Sénégal est juridiquement lié par l’ensemble des dispositions du Traité, et s’est mis dans l’obligation de transposer ladite Convention-cadre en droit interne (Article 5.2 b CCLAT), avec des dispositions tendant à la protection des populations contre les méfaits du tabagisme et contre l’exposition à la fumée du tabac, notamment :

  •  en interdisant de fumer dans les lieux recevant du public et les lieux de travail  (Article 8 CCLAT  et ses directives) ;
  • en interdisant la publicité, la promotion et le parrainage du tabac et de ses produits (Article 13 CCLAT et ses directives) ;
  • en exigeant que le conditionnement et l’étiquetage extérieur de ces produits  portent des  mises en garde sanitaires pertinentes et ne contribuent plus à leur publicité, ni à leur promotion (Article 11 CCLAT et ses directives) ;
  • en renforçant la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac (Article 15 CCLAT et Protocole pour l’élimination du commerce illicite des produits du tabac). 

Le Sénégal s’est également engagé en matière de  responsabilité civile et pénale conformément à l’article 19 de la Convention-cadre.

 C’est dans cette optique  que le gouvernement du Sénégal a procédé, après plusieurs années d’hésitation à l’élaboration d’un projet de loi antitabac.

On doit clairement noter qu’aucun  privilège ne doit être accordé à l’industrie du tabac, sous aucun prétexte (Article 5.3 CCLAT et ses directives).  Le fait que cette industrie collecte pour le compte de l’Etat auprès des consommateurs plus de 32 milliards de recettes fiscales annuelles n’y change rien. En effet, lorsque l’usage du tabac nous oblige à dépenser plus de 51 milliards dans les soins de santé des maladies non transmissibles, la priorité du gouvernement doit être la préservation de la santé des 13 millions d’âmes vivant dans notre pays. C’est particulièrement à ce propos que nous félicitons le gouvernement Sénégalais, qui vient de donner un signal fort, en adoptant le jeudi 4  juillet 2013 à l’occasion du conseil des ministres, le projet de loi antitabac.

Cependant,  les commerciaux et affairistes des bâtonnets de la mort  trouvent encore notre pays comme une véritable terre promise, avec de vastes parts de marchés, de solides soutiens et complicités,  du fait propre de l’immobilisme législatif dans ce domaine.

Nous osons espérer qu’avec la deuxième alternance, l’impératif catégorique de protection de la santé publique de notre État cessera d’être terriblement malmené par des intérêts  financiers et économiques des cigarettiers.

En effet c’est dans un macabre décor de l’inconciliable préservation de la santé publique et des intérêts économiques et financiers de l’industrie du tabac que le gouvernement sortant du Sénégal a accouché difficilement d’un « Projet de loi relative à la fabrication, au conditionnement, à l’étiquetage, à la vente et à l’usage du tabac », en attente depuis 2008. Projet dont l’exemplaire mis en circulation s’illustre  principalement par son manque d’ambition, avec de nombreuses lacunes et faiblesses au regard de la loi internationale précitée (la CCLAT).

Concernant les mises en garde sanitaires, il est indiqué, que ces « mises en gardes doivent couvrir au moins 30 % des faces principales des paquets, en recto verso ». En dehors du caractère minimaliste de cette disposition, la violation de l’article 11 du traité est flagrante, sinon dans sa lettre, du moins dans son esprit. En effet, les directives pour l’application de cet article préconisent des « mises en garde sanitaires et des messages couvrant plus de 50 % des faces principales » en recommandant qu’elles occupent « la plus grande partie possible de ces faces principales ».  Le pourcentage  quasi insignifiant prévu dans le projet de loi est complètement dépassé par la tendance africaine : Ile Maurice 70%, le Cameroun 50%, le Ghana 50%, le Madagascar 65%, etc.

Concernant la publicité, la promotion et le parrainage, les dérogations consacrées par le projet sont inconcevables. Elles autorisent la publicité à distance de 200 mètres prés des lieux publics, des établissements scolaires et autres. Ce qui revient à mépriser totalement  les dispositions de l’article 13 de la Convention-cadre, qui pose le principe de l’interdiction globale de la publicité du tabac, en disposant que « Chaque partie, dans le respect de sa Constitution ou de ses principes constitutionnels instaure une interdiction globale de publicité en faveur du tabac, de toute promotion et de tout parrainage du tabac ».

Pour le principe d’interdiction de l’usage du tabac dans les lieux publics, ce projet de loi antitabac préconise l’aménagement des zones fumeurs et non fumeurs dans certains lieux publics et les lieux privés ouverts au public, comme les hôtels et autres sites d’hébergements, bars, restaurants etc. Cette solution est irrationnelle et dangereuse, malgré l’illusion d’optique découlant de l’obligation faite aux propriétaires et responsables de ces lieux de mettre des signalisations apparentes et des aspirateurs de fumée. Cette limite viendra vider la loi de toute sa substance. Ceci du fait des risques accrus d’inapplicabilité et même de désuétude dont elle est porteuse. La seule protection admissible est celle dite universelle, avec l’érection des zones 100% non fumeurs, sur toute l’étendue du territoire national, en conformité avec ce qui est préconisé par les directives pour l’application de l’article 8 de la Convention-cadre.

Des omissions inacceptables :

  1. Selon l’article 5.3  de la CCLAT, « En définissant et en appliquant leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac, les parties veillent à ce  que ces politiques ne soit pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac, conformément à la législation nationale ». A l’analyse de cette disposition internationale et de ses directives, on constate qu’aucun effort de transposition n’est fourni par le projet. En effet il n’existe aucune disposition limitant ou interdisant toute interaction des autorités publiques avec la seule industrie au monde qui tue sa propre clientèle. Il n’existe aucune disposition interdisant les conflits d’intérêts et les trafics d’influence. Il en est ainsi de l’absence d’interdiction formelle de partenariats.
  2. La nouvelle forme de publicité que constitue la responsabilité sociale des entreprises (RSE) de ces marchands de la mort est complètement occultée. Les directives pour l’applications de l’article 5.3 décrivent ces activités Alors que tout don et aide de quelque nature qu’il soit, en provenance de cette industrie meurtrière devraient être formellement interdits.
  3. L’absence de transposition des mesures portant sur l’augmentation de la taxation des produits du tabac  prévues à l’article 6 CCLAT est inconcevable. Ce projet semble méconnaitre qu’il est universellement admis, qu’une forte taxation des produits du tabac vise à réduire considérablement la demande, surtout chez la population jeune et découragerait les nouveaux fumeurs.
  4. L’absence d’organe de contrôle (Comité National de Lutte Contre le Tabac- CNLCT) est à déplorer. Dans la plupart des pays signataires de la CCLAT, cet organe est souvent prévu par la loi pour lui doter l’autorité et l’envergure appropriée. Il est chargé de veiller à l’application stricte des dispositions de la loi et des sanctions édictées, en cas de commission d’infractions.
  5. L’absence de mesures d’accompagnement au sevrage tabagique - En effet si l’État reconnait à travers le préambule du projet le caractère dépendogène du tabac, il devrait aider en bonne logique, les dépendants de cette drogue à arrêter de fumer. L’aide au sevrage tabagique doit ainsi être appréhendée comme une autre manière de contribuer au bon respect des dispositions de la norme.

Classé comme étant un des premiers pays africains à se doter de loi antitabac depuis 1981, où l’interdiction de l’usage du tabac dans ses villes religieuses date de 1883, le Sénégal dispose d’indiscutables atouts pour réussir  de manière exemplaire et irréprochable l’adoption, le vote, et l’application stricte des dispositions d’un puissant projet de loi antitabac.

Mais cette réussite passera inéluctablement  par le respect sans réserve, ni exception de l’ensemble des dispositions de la Convention-cadre pour la Lutte Antitabac. Ce passage salvateur est de la haute responsabilité des autorités exécutives, mais surtout  législatives auxquelles ce projet sera prochainement soumis. Elle est de notre propre responsabilité. Elle est de la responsabilité de tous. Pour que les générations présentes et futures puissent vivre, s’épanouir et travailler en bonne santé. Pour qu’elles puissent enfin hisser définitivement le Sénégal dans le concert des nations émergentes.

Pathé BA, juriste-chercheur en science politique UCAD
Moustapha DIAKHATE, député à l’Assemblée nationale, président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar
Dr Abdoul Aziz KASSE, cancérologue, président de la Ligue sénégalaise contre le tabac (LISTAB)
Dr Mame Mbayame DIONE, médecin, députée à l’Assemblée nationale du Sénégal
Monsieur Alpha BALDE, président de la Commission santé de l’Assemblée nationale
Madame Hélène Tine, députée à l’Assemblée nationale

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